samedi 1 juin 2013

Iran: Teheran


Fatigués physiquement par la route et épuisés moralement par l’incompréhension que nos rencontres soulèvent, nous échouons enfin dans une chambre d’hôtel après deux jours où nous avons été ballottés dans une tempête de bonne volonté, comme deux coquilles de noix (vides) sur des flots déchainés. On ferme la porte, tourne le verrou. On met près de deux jours à réaliser… Nous sommes enfin seuls, libres d'agir a notre guise, a notre rythme! Lentement, on s'apaise.

Notre premiere apres midi a Teheran, entoure par Bagher, Leila et Mohamed
Le club de velo a Teheran nous organise un pic-nique, chercherla croix Suisse
En Iran, on apprend que nous sommes, oui nous qui nous croyions gauchos humanistes; profondément individualistes, et notre égocentisme se fracasse la tête contre un fonctionnement social communautaire, des organisations familiales quasi claniques et les règles des jeux sociaux destinées à ordonner le bon déroulement des interactions, souvent de courtoisie, veillant a protéger et a asseoir les rôles de chacun à l'intérieur du groupe. Il n’y a que des Occidentaux pervertis par le libéralisme; je passe sur la révolution industrielle, le Taylorisme, les horaires flexibles, le salaire à la commission, le travail sur appel…, pour se représenter le réseau comme une toile d’araignée qui étend ses fils élastiques entre les individus. L’Occident génère des oppositions que l’Orient réfute. Le tout n’est pas plus que la somme des parties, les parties ne se différencient pas du tout (du tout!).

Téhéran ne se raconte pas, il doit se vivre. Il faut goûter à son trafic intense, humer sa pollution presque asphyxiante, sentir son cœur chavirer a chaque fois qu'on traverse la chaussée au milieu de véhicules dont la seule règle est d'avancer coûte que coûte sans prendre garde ni aux piétons, ni aux lignes blanche tracées bien inutilement sur la route. Il fait attraper l'image des femmes recouvertes du tchador, tissus rabattus sur la tête par dessus le foulard et descendant jusqu'aux pieds, qui pour avoir les mains libre ou se dissimuler aux regards, tiennent parfois le tissus entre leurs dents. Il faut arpenter le trottoir d'une rue longue de plus d'un kilomètre, le long de laquelle des boutiques de pneus, entreposés partout, forment autant d'obstacles aux motos qui déjà zigzaguent pour nous dépasser. Il faut voir pour le croire, les iraniens pousser au fond de leur gorge d'énormes bouchées de sandwich debout à 15 dans un fast food de 10 mètres carrés, rien à voir avec l'attitude distinguées du cérémonial ''petit biscuit'' de leur salon fastueux! Il faut gouter au fallafel à 75 centimes, aux jus de fruit frais mixés (orange, cerise, carotte, melon, milkshake banane ou fruits à coques), aux amandes précoces et aux tomates vertes (fruits de la taille d'une petite prune qui poussent sur des arbres) que des vendeurs ambulant te servent salés dans un cornet en plastique. Faire tes achats dans une épicerie de 3 mètres carrés coincés sous une cage d'escalier. Emprunter le métro flambant neuf a l'heure de pointe serrés au milieu d'hommes dans un wagon réservé aux femmes. Sauter dans la voiture du premier quidam venu, qui en Iran, se transforme en un instant, pour le prix d'un pain (12 centimes), en taxi, si ta destination est sur sa route. Traverser l'attroupement d'hommes, téléphone vissé à l'oreille, au milieu d'une place, la bourse à ciel ouvert. Il faut aider le vieux monsieur chancelant sur sa canne à traverser la chaussée. Tenter de changer ton argent à la banque comme le guidebook le préconise et entendre de tes propres oreilles le banquier te renvoyer dans un office de change ou le taux est plus avantageux. Perdre 1h30 de ton temps pour tenter d'envoyer un coli à la famille, répondre inlassablement aux questions les plus farfelues d'un guichetier qui (nous l'espérons pour lui) souffre sans doute d'Alzeimer. Grimper à l'arrière d'un bus, partie réservée aux femmes, séparée de celle des hommes par une simple barre de métal (alors que dans le métro se sont des portes westerns transparentes qui ne s'ouvrent que dans le sens femmes-hommes). Parcourir les ruelles sombres où des SDF sont assis sur des cartons à la tombée du jour ou camper dans un parc quasiment au centre ville et te sentir en parfaite sécurité. Répression pénale virulente, contrôle social fort? Sans doute un peu des deux, en Iran la criminalité semble nulle. Découvrir que le caniveau a ciel ouvert sert à jeter ses ordures, que la théière bout jours et nuits sur la gazinière, qu'on laisse tourner son moteur quand on va faire quelques courses au kiosque du coin. L'écologie est un concept. Economiser de l'énergie? Pourquoi faire? La nature ici en regorge. Evoluer au milieu de 17 millons d'habitants, traverser un pont routier qui enjambe une voie rapide sur 3 niveaux et avoir un sentiment de fourmilière déshumanisée. Quel sens peut avoir la vie d'un individu parmi tant de congénères? La ville est si démesurée que tout marche par quartier. Même les chauffeur de taxi ne savent parfois pas s'orienter et sautent de leur véhicule pour interroger à la volée, les passants qui se transforment instantanément en borne information. Tourner a vélo autour de la tour Azadi, symbole national. Admirer les bâtisses coloniales dans le sud de la ville. Et les palais et les mosquées somptueux qui se noient dans le foisonnement des bâtisses. Etre surpris de ne plus entendre à heure régulière, l'appelle à la prière, dissimulé qu'il est derrière le vacarme de la ville. Observer les boulangers enthousiastes cuire différentes sortes de pain dans des fours en forme d'amphores ou recouverts de gravillons. Prendre garde aux chariots à bras qui défilent dans les ruelles voutées du Bazar, poussés par des hommes de tout âge et de toute corpulence. Ne pas marcher sur les pelouses des parcs proprets et sur-structurés et goûter au silence un peu trop sage de ces lieux alors qu'ils sont bondés. Etre un peu triste face à la retenue des enfants qui ne s'excitent même pas lorsqu'ils jouent au ballon ou se mesurent à la cours. Rire aux larmes en observant des gens de tout âge et des femmes emberlificotée dans leur cape qui ''font du sport'' sur des engins fixés au sol dans les jardins publics, une simagrée hilarente. Matter du coin de l'oeil les pères de famille qui cajolent leurs enfants, tenant l'aîné par la main et transportant le nourrisson dans un porte-bébé fixé sur leur ventre. Supporter qu'on te porte tes courses jusqu'a l'hôtel en te faisant la causette, alors que tu n'a rien demandé, qu'on t'accompagne vers l'internet café le plus proche, alors que tu n'a encore rien demandé, qu'on t'informe sur les monuments à ne pas louper lors de ton séjour, alors que tu n'a toujours rien demandé! Goûter aux soirées du nord de la ville où des femmes habillées à l'occidentale, un simple fichu jeté sur une coiffure bouffante discutent en riant, font du shopping et s'amassent devant des fast-foods (très important le faste food téhérannais) aux enseignes lumineuses clignotantes. Rien à voir avec les dames en noir précédemment décrites. Se casser le nez 30 fois par jour sur des visages de femmes et d'hommes a la protubérance nasale bandée. La chirurgie esthétique fait un carton en ce moment! Découvrir surprise que beaucoup de téhérannaises ont une vie professionnelle (femme de chambre, employée administrative, guichetière de banque, professeure) et que les métiers en relation directe avec le tout-venant (employé communal, chauffeur de bus, secteur de la vente, policier) sont plutôt réservés à l'homme. Rester planté deux jours entiers devant des programmes télévisuels nationaux ou des discours d'érudits de l'Islam se succèdent. Aux heures des 3 prières (les iranien sont Chiites), on diffuse l'appelle sur fond de mosquée de faillance, d'arabesques orientales et de paysages naturels ou virevoltent des papillons. Chaque soir, La Mecque est en direct sur la chaine 1. Quel mélange de modernité et de tradition, mais seul un cerveau occidental met en opposition ces deux termes. Qui dit que respecter des principes religieux, honorer les anciens, défendre des valeurs de la famille… sont des principes désuets? 


Bazar de Teheran ou chaque centimetre carre est utilise

Stand de jus fruit remplacant les pubs et autre debit de boisson
Les deux barbus, guides spirituels present partout en photo
Incoyable demesure du reseau routier Teheranais, ici on roule sur 3 niveaux
Mosquee au centre, plus discretes qu en Turquie, le choix religieux n est plus a prouver, il est impose.
Il faut découvrir, petit a petit au détour d'une conversation avec une femme subtilement engagée, l'air de rien, féministe jusqu'au bout des ongles, les subtilités du Tarof, les règles des relations amoureuses, les difficultés pratiques qui encombrent la vie des femmes iraniennes, les rêves d'autre part, la peur de l'inconnu, les précautions prises par réflexe pour éviter de se retrouver dans une situation compromettante, les frustrations d'une adolescente qui ne peut pas s'épiler les sourcils, porter un voile qui montre plus de 2 centimètres de ses cheveux sur le devant du crâne, marcher dans un espace public en compagnie de garçons, faire du vélo à moins d'obtenir une autorisation spéciale et d'être accompagnée par des hommes expressément nommés par celle-ci, chantonner dans la rue, danser ou écouter de la musique lors de pic-nic dans un parc, accéder à facebook parce que le site est crypté au niveau national, rire aux éclats ou fumer une cigarette en public… et qui ne pourra jamais conduire un moto.
Merci les filles, merci pour votre confidence, merci pour votre tolérance, votre ouverture d'esprit, pour le partage. Merci pour avoir découvert pour nous un pan de votre culture, merci d'avoir ouvert cet espace où partager nos doutes et nos questionnements mutuels. Sans doute notre plus belle rencontre en Iran!

Voila, Téhéran ne se raconte pas, et tous les mots que je viens d’aligner sont ridicules. Téhéran ne se photographie pas, il ne se fixe pas sur papier glacé. Sans le son, sans l'odeur, sans l’image qui défile, il manque des dimensions. Imaginez un volume sans hauteur ni profondeur…
L’Iran, le pays le plus déroutant que nous ayons côtoyé jusqu'à présent. Un gouffre culturel sépare deux réalités qui peinent à s’envisager mutuellement. Alors face aux troubles génèrés par l’extérieur, on se remet en cause, s’interroge sur soi, sur ce qui nous constitue dans le fond. De quoi sommes nous fait?
L’Iran fait grandir… peut-être un peu trop vite. Comme Alice soudain géante, inadaptée au monde qui l’entoure, puis tout a coup, on se sent minuscule, vulnérable, honteux au raz des pâquerettes, à peine à la hauteur du vermisseau qui encore, a le toupet de nous envoyer en pleine face, la fumée de sa pipe à eau sur laquelle il tire avec délice et insouciance. A moins que ce ne soit pour se donner une contenance, de la substance aux mots creux, trompeusement philosophiques qu'il prononce sans cesse.
Vous l’avez compris, la différence ici rythme avec fascisation, à l’exacte point de friction entre admiration et répulsion, un cycle passionnel: séduction, abandon, incompréhension, rejet. L’Iran nous confronte à nos sens les plus primaires parce que notre façon européenne d’envisager le monde, de se projeter dans l'espace et le temps, n’a aucun sens ici!
Envieux peut être, les iraniens semblent considérer grossier nos agissements, vulgaires nos façons directes de nous exprimer, puériles et totalement aléatoires les échelles de valeurs que nous appliquons sur les paroles et les actes. Un escalier à la Dali, biaisé et qui ne débouche sur rien! Le vide!

Ville dynamique aux aménagements très modernes, Téhéran se confond facilement avec n'importe quelle capitale Occidentale. Téhéran n'est pas un voyage extérieur, c'est une aventure intérieure. Un condensé d'Iran et quand on gratte la surface, qu'on cherche au delà des apparences, on a le sentiment de deux galaxies qui s'entrechoquent de front alors qu'elles n'étaient pas supposées évoluer dans le même univers. Les trous noir existent, et c'est terrifiant, les trous noir existent, et c'est magique. Ils demeurent toutefois bien mystérieux.

Tour Azadi, le symbole de l Iran


Tour Milad, autre symbole de l Iran qui est beaucoup plus impressionante que celle de Berlin


Chaine de montagne Damavan et fourmilement urbain

Téhéran, c'est aussi 19 jours d'attente d'un visa indien. De recherches de documents en photocopies, de réservation de vols en présentation de passeports, d'heures d'attentes inutiles, sur des sièges inconfortables, qu'un système informatique veuille bien fonctionner, de files d'attente devant une machine à tiquet dont le papier bourre, d'espoir déchus encore et encore. Lassés d'attendre, on s'offre trois jours d'excursion dans les montagnes au dessus de la ville, afin de s'extirper de la pollution; dont on revient déçus malgré les paysages splendides, les essences d'arbres stériles à la reproduction alignés comme des soldats sur le tracé d'un arrosage au goutte à goutte nous déconcertent. Les gardiens nous débusquent après deux jours et nous chassent. Je (Leo) craque complètement, je l'admets! En Iran, on est certainement en sécurité, même les plaisirs les plus simples, respirer l'air pur et admirer la nature, sont ''Under control''! On enchaîne, paiement de documents officiels, visite à l'ambassade de Suisse où l'on tombe le foulard quelques minutes, où l'on parle français, où l'on se sent irrationnellement chez soi, compris, maître de l'environnement. Elaboration de plan sur la comète à devenir astronaute, trop d'inconnu dans l'équation mais les étoiles des nuits dans le désert nous appellent, ça c'est certain! 19 jours de repos forcé et de grosses bouffes, de lecture, de session internet, de balades au Bazar pour passer le temps. Puis c'est une demande d'extension de visa iranien à la police des étrangers qui te ballotte de bureau en bureau, te fait poireauter dans une salle d'attente surpeuplée puant la transpiration et les toilettes et au néon clignotant, et qui, à grand renfort de tampons sur ton passeport, t'accorde une prolongation. Apparemment nous n'avons pas payé le forfait ''avec sourire''. C'est aussi de chouettes rencontres fortuites avec d'autres touristes étrangers, parfois cyclistes, sur le toit d'une terrasse paisible d'une misafirame (guest house) tranquille et chaleureuse.

Ouf de l air a la montagne ou nous avons camper 2 nuits
Sur la terrasse de l hostel Maschad ou nos amis cyclo Angelique et Vincent nous offre le desert. Malgre le repas pris avant le desert, on coupera ce gand gateau en 4 tranches qu on engloutira facilement. Regime cyclo

Enfin le 30 avril, 16h30 notre sésame pour l'Inde est délivré. A nous la route, à nous le désert…

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