lundi 16 novembre 2015

Autriche (Steiermark - Salzburg) : Lavamund - Wolfsberg - Graz - Salzburg


Il faut grimper d'un étage, quitter la Drava et suivre la Lavanttal pour atteindre une vallée à fond plat close par deux versants alpins. Les montagnes aussi ont pris de l'altitude. A l'Est, le sommet pelé et planté d'antennes de Gr. Speikkogel atteint 2140m, il me fascine. Cette fois ça y est, les Alpes sont atteintes, cette idée m'excite. J'ai un peu de temps devant moi avant que Isabelle et François n'arrivent à Graz pour me rendre visite. C'est décidé, je ferai un crochet par Judenburg et grimperai le col de Gaberl (1551m) afin de goûter un bout de rêve en avant-première. J'avance à travers champs, les tracteurs labourent, les sapins forment des forêts aux abords des pentes puis s'entêtent sur les versant jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à ce que seule l'herbe grillée, brune orangées ne résiste à l'altitude. En bas, les vaches laitières me regardent passer, ruminant dans leur pré vert, une herbe copieuse et grasse. Toute les fermes, massives, à la partie supérieure boisée, portent des géraniums et des pétunias aux fenêtres, les églises villageoises se dressent sur des collines au dessus des bourgs. Le complexe religieux de St-Paul in Lavanttal est plus imposant. Sans raison, j'oblique sur une petite route campagnarde en parallèle de la voie principale. Le destin me guide tout droit dans un immense magasin de cyles hight-tec en plein cambrousse. L'occasion est trop belle et le hasard impossible. J'effectue le service de Diogène avec l'assistance de professionnels passionnés. Coup de main offert!




Autriche, Fuschi: les fermes imposantes sont fleuries, les vaches paisibles dans leur champs



Si l'approche de la fin de journée me causait quotidiennement une certaine anxiété en terre asiatique, ce n'est plus le cas en Europe. Je sais qu'il va m'être facile de trouver un lieu de couchage et qu'on me laissera en paix, respectant mon temps de repos. J'apprends qu'en Autriche, le camping sauvage est autorisé. J'installe donc le camps au bord de la rivière face aux deux églises monumentales à double clocher de St-Andra. Dans ce pays, les cloches somment tous les quart d'heure et le nombre juste de coup aux heures pleines. 96 fois par jours donc, les muezzins ont encore du pain sur la planche! La tente attire quelques regards intrigués, suspicieux, voire désapprobateurs de la part des cyclistes, promeneurs de chien, joggers, roler bladers et autre nordic-wakers qui suent et respirent à plein poumons le long du chemin bordant la rivière. L'itinérance n'est plus une évidence, on se méfie de l'anormalité, le voyageur est regardé de travers. De mon côté, je m'amuse à observer tant de persévérance, d'application , de sérieux, de dévouement dans les pratiques sportives. Ça faisait longtemps que je n'avais plus vu ni toutous en laisse, ni marche forcée à la cadence de la musique d'un MP3 planté sur les oreilles. Ça m'intrigue, me fait réfléchir: pression sociale, besoin d'action, de détente, volonté de modeler son corps? Guidé par les normes, l'instinct, le plaisir conscient? Autant d'individus, autant de réponses.



Autriche, les groupes locaux de musique flok ont la cote

On annonce des concerts. Les affiches montrent des visages du terroir, les têtes portent des chapeaux de feutre, les corps sont affublés de costumes traditionnels. Les instruments représentés ne laissent pas place au doute: accordéons et contre-basses; il s'agit de musique folklorique. Si à St-Peter in Lavanttal, c'est une boutique spécialisée haute gamme qui propose des accordéons en tous genres, les habits traditionnels quant à eux, se trouvent partout, jusque dans les rayons du supermarché de Wolfsberg. Cette mode a été remise au goût du jour il y a quelques années, par les jeunes générations et il n'est pas insolite de croiser un short de cuire à bretelles, de longues chaussettes de laine tirées sur les mollets, un corsage sur un bustier décolleté ou une jupe longue sous un tablier dans les rues des grandes villes du pays. Si Isa et Franco en seront surpris  et que GP n'appréciera guerre, moi j'aime bien. Connaître sa culture et en être fier est, à mon sens, une riche plateforme pour l'échange entre les peuples. Je me réjouis donc de ce spectacle qui m'amuse également.



Autriche:les boutiques proposent l'habit traditionnel, remis au goût du jour par les jeunes générations



Au loin, des cimes enneigées. Malheureusement, le temps se gâte alors que je franchis de col de Obdacher Sattel (954m). dans la descente vers Weisskirchen, des tas de scieries industrielles dont il sort planches et papier. La montée du col de Gaberl me réchauffera, certain beccets sont raides et je regrette de ne pas jouir de la vue sur les Atubalpe. Au sommet, je gèle, enfile toutes les couches d'habits dont je dispose, avale une potée bien chaude et remercie qui de droit d'avoir trouvé hier, au bord de le route, une paire de gants en caoutchouc pour affronter une interminable descente vers Koflach, dont une pente à 21%!!! La route s'enlace jusqu'à la Salla puis elle s'affaisse un peu. Les maisons isolées dans l'humidité des bois sont superbement décorées, entourées de potagers, de quelques arbres fruitiers. Une veille scierie, un banc sur une air de repos pour promeneurs, un Jesus accroché à sa croix.



Autriche, Steiermark, Weissekirche: clocher a la hauteur des cimes blanche



Autriche, Steiermark: montée du col de Gaberi, 1551m


Un coup de sifflet, la police descend la vitre de son véhicule, déjà je m'avance pour demander mon chemin. J'ai pris l'habitude de la très serviable curiosité des forces de l'ordre. Je tombe de haut, on m'interpelle car je roule sur un trottoir, puis la voiture redémarre. J'éclate de rire, quel choc culturel! Bienvenue à toi le paumé voyageur étranger! Ayant finalement trouvé (toute seule donc!) un lieu où me connecter à internet, je prends contact avec Martin, warmshowers (voir article concernant ce sujet sur le lien suivant: ) à Graz. Il m'attend dès ce soir, il reste 40km à parcourir, on m'assure que c'est en descente. Oui, sauf qu'il s'agit de l'autoroute. La route secondaire compte 20km supplémentaires et escalade trois collines avant destination. Je fonce à travers la campagne, à toute allure, par les pistes cyclables qui suivent une voie ferrée entre eux rochers ou la platitude de champs verts, traversent des villages que je ne regarde plus. Il se fait tard, bientôt nuit.

Graz: feux rouge respectés, circulation ordonnée, passages piétons peints de frais, kebab à l'emporter, panneau "psychothérapie" et "attention chien méchant" (au singulier Blaise!), publicités aguicheuses sur les bus et sur les écrans géant rotatifs, immeubles vitrés, "magasin ouvert jusqu'à 21h00", sans uniques, "interdiction de stationner", poubelles à verres, poubelles à plastique, poubelle à papier, poubelle à composte... Si comme le prétend Monsieur Ibrahim ("Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran", magnifique film à voir sur ce lien: https://www.youtube.com/watch?v=YvTVtzTGCp4 ), on mesure le niveau de vie de la population d'un lieu en fonction de ses poubelles, alors Graz, c'est Bizance! Ça fait beaucoup pour un seul Homme, l'attention est constamment soumise à pression, sans cesse tiraillée... Après plus de 100km de route et 800m de dénivelé, je me sens un peu submergée, comme étourdie par tant d'interpellations avides d'intérêt. Je m'avance vers le centre, tout droit jusqu'à ce que, sans le décider consciemment, je m'arrête et demande ma route munie d'un simple papier annoté de l'adresse de mon logeur. Gina, serveuse au "Hang Over", ouvert 24h/24 et sans doute plutôt coquinement fréquenté, m'invite pour un café. La rue que je cherche est celle d'à côté, ma Bonne Étoile donc, a décidé que j'y serais avant le crépuscule! Merci Gina!


Autriche, Steiermark, Graz: Herz Jesu Kirche



Martin m'accueille simplement, avec générosité et confiance. Ma chambre est prête, les draps sentent bons, la douche est chaude, le lave-linge autonome et le repas délicieux. Matrin est passionné de cyclisme longue distance, il me raconte ses périples alpins ou à la mer. Avec une bande de copains, il a mis sur pied un atelier de mécanique hebdomadaire gratuit à l'attention de ses concitoyens. Il est très enthousiaste et apprécie mes racontars asiatiques. Anke, sa colocatrice, est actrice. Un personnage passionnant, ouvert à l'échange profond, avec qui je referais le monde une nuit durant. Merci à tous les deux!


Ce petit séjour m'a permis de prendre du repos et de préparer l'arrivée de mes amis. je les accueille au matin du 12 septembre dans un appartement aux allures de squat anarchiste. Les photos sur internet ne laissaient pas présager qu'il se situait dans une cave et qu'il était aménagé uniquement garce à du matériel de récupération. Bref, Isabelle et François sont là, et ce n'est pas une chasse d'eau qui fuit qui va gâcher nos retrouvailles. 



Autriche, Steiermark, Graz: les copains sont là!



A peine arrivés, nous sortons donc, le ciel est bleu, il ne fait pas froid. La Herrengasse, rue principale du vieux bourg, est un musée à ciel ouvert, tous les bâtiments sont rénovés, pomponnés, plâtres parfaits et pavés ajustés. Je ressens comme un malaise. Je n'aurais jamais cru dire une chose pareille, mais le chaos asiatique me manque. Tout est trop net, trop propre, trop fignolé. Il manque du bruit, de l'action de la saleté, du désordre, de l'aléatoire... de la Vie en somme. Comme l'impression d'évoluer dans un monde artificiel, un décors lustré, une mise en scène où chacun connaît le rôle qu'il a à jouer. Incapable de saisir quelle est ma réplique dans ce triste spectacle et refusant l'évidence du rôle: touriste-lambda-issus-de-la-classe-moyenne-supérieure-plutôt-intello-en-visite-culturelle, je deviens spectatrice. Je m'éteins, me mets en veille et passe à côté de la beauté des monuments massifs classiques, modernes et religieux de la ville. Cependant, le parc autour de la Platz des Menschenrechte exempt de crotte de chien, est un lieu idéal pour s'affaler dans l'herbe et reprendre contacte avec mes amis. Chacun de nous trois a un tas de choses à raconter, de belles nouvelles, de beaux souvenirs, on se questionne, on s'interroge, on se retrouve, on se redécouvre, on se réapprend. Isabelle et François sont en pleine forme, la santé est bonne, les amours heureux, ils sont plein de projets et d'ambitions, très actifs. C'est une joie de les voir ainsi. D'une terrasse en plein air, on passe à l'ambiance sportive, bruyante et enfumée d'un pub irlandais. Sous l'égide d'un serveur passablement mignon (avis unanime), les tournées s'accélèrent, les discussions également. Les réflexions et observations accumulées en chemin viennent se confronter aux réalités d'un système rodé, huilé et tout puissant. Un système merveilleux qui offre sécurité et liberté individuelle à ses membres; un système démoniaque qui exploite les individus afin d'accroître indéfiniment l'étendue de son propre pouvoir. Ou quand le moyen devient une fin, LA FIN! Oui mes interprétations pérégrinatoires sont sans doute idéalisées, l'écart s'est creusé, je me sens chamboulées, joue sur la défensive, ce qui donne une impression d'attaque constante. L'humour de chacun et l'amitié qui nous uni gade l'eau et le gaz à distance respectueuse, mais au matin je me trouverai plutôt honteuse. Ce n'est pas comme ça que je voulais accueillir mes amis. Prôner le respect, l'écoute et l'Amour dans la solitude c'est facile, théorique. Et puis, dans la réalité, le besoin de reconnaissance par les êtres aimés prend le pas sur la bienveillance, l'acceptation et l'ouverture d'esprit. Je me déçois! 



Autriche, Steiermark, Graz: on a que 2 jours pour fêter nos retrouvailles, alors on s'active!



Au cours de ce séjour, nous ne nous refuserons rien. Notre déjeuner sera un brunch copieux, presque digne de l'hôtel 4 étoiles de Bucharest: Crêpes, confitures diverses, fruits, festival de petits pains, fromages, viandes, pâtes à tartiner, jus de fuit... Je m'empiffre, me régale, les copains sont plus raisonnables... eux! Nous  testerons aussi la cuisine locale dans une taverne authentique, décors boisé, napperons crochetés et coussins brodés: Spaghettis montagnards, viande aux pruneaux, sauce au poivre. Restaurants méditerranéen ou grecque, on choisit à toute heure en fonction des caprices de nos palais... par chance pour le mien, un peu partout, on sert la PIZZA! Nos apéros seront aussi variés: de l'Ile sur la Mur aux tabourets de bar à la mode, du cocktail caraïbes aux choppes autrichiennes! On ne se prive de rien et surtout pas de ces moments de bavardages agréables, légers et sincères. Je souhaite à chacun d'avoir une Isa et un Franco dans sa vie!



Autriche, Steiermark, Graz; L'île sur la Mur aux allures futuristes (Murinsel)


Visite du Schloßberg. la colline fut creusée de tunnels anti-aérien, refuge de la population, au cours de la dernière guerre mondiale. Aujourd'hui, on parcours des galeries en petit train. Les murs sont bariolés de couleurs fluo psychédéliques, des haut-parleurs racontent un conte de fées. On se prend au jeu. Montée au haut de la butte par un ascenseur vitré, c'est vertigineux. A travers les âges, la forteresse est restée en activité, elle a su se recycler. Les bâtiments anciens ont été modernisés au fur et à mesure en fonction des intêrrets de la population et autorités de la ville. Des arsenaux transformés en salle de concert, des places d'arme en jardins romantiques avec belvédère japonnais qui offre une vue plongeante sur les vieux quartiers de Graz: l'Hôtel de Ville, le Musée d'Art Contemporain, L’église du Sacré-Cœur-de-Jésus, la Mur qui coule le long d'enfilades de clochers ornés de croix... Le carillon de la Tour de l'Horloge tinte toujours à défaut d'alerter des incendies comme autrefois. Ce sera notre seule véritable sortie culturelle, il faut dire que le temps fille, mes amis doivent déjà s'envoler pour la Suisse. Il est difficile de leur dire au revoir. François se veut rassurant :" Dans un peu moins de deux mois, on se revoit!". Oui...mais... tout ça a été trop soudain, trop rapide pour mon rythme à présent si ralenti. J'ai l'impression que le temps s'est compressé, que tout c'est déroule dans un claquement de doigts. Une irrésistible envie de pleurer me prend, je me sens très seule soudain et épuisée, comme abandonnée et vide après l'intensité du contact. Mes amis prenez soin de vous mieux que je n'ai su moi-même le faire au cours de ce week-end. Merci de m'accompagner toujours et encore sur le chemin de la Vie. A vous côtés, j'apprends à devenir une meilleure personne, toujours un peu plus. 



Autriche, Steiermark, Graz: Grand-place et Hôtel de Ville, vues depuis la citadelle (Schlossberg)



C'est les sacoches chargées d'habits chauds (merci BB), de livres (merci DODO), de chocolat et pommes séchées que je prends congé de Graz pour remonter la Mur (Non Isa, pas le mur) en direction de Bruck puis Leoben. Blaise Hoffman (auteur lausannois de "L'Assoifée", 2009, dont je recommande vivement la lecture) dit que "en pédalant tout rentre dans l'ordre, un autre que celui d'avant. Mon pédalier poursuit ses douces révolution. Il en annonce de plus déterminantes".  Le processus prend deux jours entiers. Tête dans le guidon et yeux vives sur le goudron. Unique moment de gaieté, en découvrant fascinée les distributeurs à oeufs. La suite logique des distributeurs à lait slovènes je présume. On choisit la grosseur désirée, on introduit l'argent et voilà!!! Mais la porte opaque ne permet pas de savoir si la poule est aussi à l'intérieur... 



Autriche, Steiermark: la route entre Garz et Salzburg


Autriche, Steiermark, Eisenerz:depuis le col de Prabichl, 1227m




Autreiche, Steiermark, Eisenerz: Église fortifiée de Saint Oswald

L'Autriche est riche en pistes cyclables, elles s'aventurent tout bonnement dans toutes les direction. En atteignant Trofaiach, guidée par une soixantenaire à vélo, qui tient une forme olympique, l'odeur des Alpes me redonnent du moral. Le col de Prabichl (1227m) est posté entre le Polster (1919m) et le Eisenerzer Reichenstein (2165m). La montée ravis entre forets et villages typiques truchés de bâtiments historiques, j'y éprouve du plaisir. Sur chaque côté de la route, des installations de remontées mécaniques. Au sommet, un mémorial en souvenir des nombreuses victimes tombées ici lors de la "Marche de la Mort" au moment du repli Nazi. Au dessus d'Eisenerz, une carrière immense a réduit au quasi-néant l'entier d'une montagne. Un viaduc vertigineux descend au bourg. J'ai le vertige à vélo et me souviens l'un des derniers cols himalayen qui m'avait fait le même effet. Ce qui rend la magnifique église fortifiée sublime, c'est le décors de falaises et de sommets qui s'élèvent derrière elle. L'eau limpide, bleutée de l'Erzbach a creusé une gorge dans  roches calcaires blanches . C'est enchanteur et si facile sans pédaler! Des Hieflau, j'entre dans le Parc National de Gesäuse. Le vent se lève, il est contraire. Des pans de falaises monumentales en draperies infinies s'ouvrent au fur et à mesure de la progression. Des qu'on commence à apercevoir le bas d'une montagne, un autre sommet pointe en arrière plan. Lamischbachturm, Hochtor, Gr. Buchstein, Reichenstein, ils mesurent tous plus de 2000 mètres de haut! Quelques arbres jouent les avant-gardistes et ont adopté la mode automnale, ils sont minoritaires. Finalement, la vallée de l'Enns s'ouvre sur des pâturages, les villages campagnards réapparaissent. "Où puis-je camper?". La question intrigue, on ne sait pas, tous les champs ici sont privés m'indique-t-on. La réponse magistrale d'Anton en Italie me revient à l'esprit: "où tu veux, la Terre, elle est à tout le monde". Le contraste est saisissant, il fait sourire mes lèvres et piquer mes yeux. C'est à la gare de Frauenberg que j'établis le camps sous la protection des  guichetiers qui se relaient en 3/8. Pour deux trains par jours, c'est généreux!


Autriche, Région Leizen, Ennstaler Alpen


Au Nord-Ouest de Liezen, la Haute Autriche. Je m'enfonce à nouveau dans la montagne en contournant les 2351m de parois rocheuses du Grimming qui offrent un prodigieux spectacle à Mesdames les vaches parquées dans des prés étincelants et clôturées de fils électrifiés. J'assiste à une scène insolite. Onze génisses migrent d'une pâture à l'autre encadrées de huit jeunes gens dans la force de l'âge, munis de bâtons et trottant allègrement à leurs cotés afin de les guider au plus serré. Instantanément apparaît devant les yeux l'image de cette bergère, en charge d'un troupeau de plusieurs centaines de moutons dans les étendues infinies des haut plateaux tibétophones. Elle marmonnais sans cesse des prières et tournais son moulin, s'arrêtait pour se reposer puis avançait un peu, les bêtes  à sa suite. En Roumanie, lors des vacances scolaires, on laisse le soin des animaux aux adolescents. Des pâtres en herbe qui font la sieste au bord de la route pendant que les chèvres ruminent. La richesses des images peuplant mes souvenir est un trésor. Situations similaire et tant de façons de les appréhender. La multitude des point de vue est une richesse inégalable.

Bad Mitterdorf est une bourgade touristique: hôtels, restaurants, boutiques diverses, magasins de souvenir. Joli quoiqu'un peu artificiel. D'ici je contacte Florian qui m'accueillera à Salzburg dans quelques jours.


Autriche, Steiermark, Mittlerndorf: des monts de roche et des pâturages verdoyants



Autriche, Steiermark, Mittlerndorf: perfect spot!

Pour atteindre Bad Ischl, on me conseille un itinéraire bis qui évite le col de Potchenhohe (992m). Quelle aubaine, le paysage est grandiose. Un sentier pour mountain bikes et randonneurs longe une gorge très étroite qui sent le sous-bois et dans laquelle l'eau forme de petite chutes, elle s'ouvre ensuite sur des pâturages où de petites cabanes de bois offrent des collations, spécialités régionales et naturelles, le tout enserré de monts alpins. J'adore!


Autriche, Bad Ischl: descente interminable au fond d'une gorge


J'atteins le lac de St-Wolfgang puis celui de Fuschl. Grâce à une inclinaison très favorable du tracé, j'aurai effectué plus de 100km en un jour et atteindrai Salzburg bien avant l'heure convenue avec mon logeur. La réceptionniste de l'hôtel d'à côté m'enjoint très franchement de quitter les lieux quand je demande à utiliser la connexion internet afin de passer un coup de fil. Au restaurant d'en face, il n'en va pas de même. Le serveur est bosnien, il m'interroge sue le voyage, je lui compte mes découvertes balkaniques. Pour la peine, il m'offre une Slivovija! Le cuisinier incrédule devant mes lourds bagages arrive avec un plat de pâtes au pesto. Finalement, une autre cliente tient à m'offrir une bière en protestation au mauvais accueil de l'hôtel. C'est la fête au resto quand Florian arrive afin de me conduire chez lui. Quel incroyable accueil salzburien, la magie opère encore et toujours, souvent j'ai l'impression de vivre un rêve éveillée. 


Le dévouement de Florian est tel que ce soir il abrite trois cyclonautes, une bonne occasion d'en apprendre sur les Pays Scandinaves dont ils sont originaires. Notre hôte est un intellectuel pragmatique, un raisonnable émotionnel, un théoricien actif. C'est un plaisir de le côtoyer et d'échanger avec lui. De plus, une passion commune nous unit: le FORMAGE! Merci Florian pour ton accueil bienveillant et généreux. 

Premier jour de l'automne, je ne suis sereine qu'en apparence, mon coeur fait des bons dans ma poitrine. Mon grand-père arrive par le train en milieu d'après-midi. La gare de Salzburg est le  refuge de centaines de réfugiés syriens attendant la réouverture des frontières allemandes. Certains, las, partent à pied pour la rejoindre, le autres dorment dans une grande salle éclairée au néon sous les voies ferrées. Pas de lit, ni d'espace privé, mais il y fait chaud. Des tentes sanitaires, des cantines et des toilettes sont aménagées sur la place centrale. Partout, des volontaires en gilet fluo ou brassière à croix rouge s'affairent, orientent les malheureux, apportent de l'eau. La police et l'armée sont aussi présentes. Elles interdisent l'embarquement dans les convois ferroviaires, assurent l'ordre quand les migrants montent dans des bus spécialement affrétés, veillent à la sécurité des autres voyageurs en se postant par petits groupes au bas des quais. Sur les pylônes on a scotché des papiers affichant les photos des disparus. Les familles sont à la recherche d'un maris, d'un enfant, d'une tante ou d'un frère dont elles sont sans nouvelles. Pourtant, en gare, tout est calme. Est-ce à cause de la fatigue accumulée au cours du long voyage, la résignation, la honte de leur état, la position de survie qu'ont adopté les réfugiés? Peut-être parce que malgré la précarité de la situation, le confort relatif de ces lieux offre aussi un peu de répit? Être confrontée à cela atténue mes émotions égotiques bouillonnantes, met en perspectives ma propre situation. GP et moi, nous ne nous sommes pas vus depuis près de 3 années mais les causes en étaient si légères. Un coup de téléphone ou une lettre nous mettaient instantanément en contact et nos conditions de vie réciproques étaient si confortables et heureuses qu'il y avait peu de soucis à se faire. Que nous sommes chanceux, nous les épargnés! Si les enjeux mondiaux se jouent sur l'ensemble des territoires planétaires de façon plus ou moins ostentatoires, nous nous trouvons à mile lieues des réalités d'un conflit armé. Si bien que certains, ayant déjà oublié le passé pourtant récent, des colonnes de civils, tentant d'échapper aux bombardement des avions ennemis par les routes européennes, posent des conditions, érigent des murs de barbelés, avancent des cotas ou refusent simplement d'entrer en matière sur la question. Je crois comprendre les difficultés sanitaires, culturelles, sociales et économiques que provoquent le vertigineux flux migratoire actuel, toutefois, lorsqu'on regarde un autre Être Humain dans les yeux, il est impossible d'agir de la sorte. Pourquoi l'individu devrait-il porter la responsabilité d'un système fou et destructeur? Rappelons-nous qu'il y a 70 ans de cela, les fuyards, déserteurs, immigrés, réfugiés; les traqués à cause de leurs appartenances, leur idéaux, leur obédience; les vagabonds, sales, voleurs de nourriture, nécessiteux, en état de choc, dénués de tout... c'était nos grands-mères et grands-pères!


Et mon grand-père justement le voilà. Les mains chargées de ses lourdes valises, il descend les marches du quai juste en face de moi, je l'appelle, il me repère, on s'avance, il laisse ses sacs, s'approche, me prend dans ses bars en tremblant d'émotions. Il va bien, fait bon voyage, pas fatigué! Malgré tout, il a tant minci et rapetissé depuis la dernière fois que l'on s'est vu, que je ne peux m'empêcher envers lui un élan protecteur. Toutefois, tout au long du séjour GP et ses 85 balais me blufferont. Sans hésiter, d'un pas assuré et tirant vaillamment sa valise, GP saute à pied joint dans l'aventure à la recherche de l'appartement qu'il a loué pour nous deux. C'est avec plus d'une heure de retard que l'agent immobilier arrive enfin ce qui ne semble aucunement l'inquiéter. GP aux jambes et aux nerfs d'acier, et très bon plongeurs qui plus est! La soirée de retrouvailles est merveilleuse, on fête tant et plus, on parle ouvertement de celle qui nous est chère et qui nous manque, on savoure la rencontre. 



Autriche, Salzburg: GP est arrivé et il a apporte avec lui des saveurs helvètes!



Quand le temps n'est pas pluvieux et que nous devons rester à la maison dégustant quantité de mets aux fromages et autres agapes que GP a trimballé dans ses mâles, nous partons en excursions (avec un X!). On arpente la veille ville de long en large, Maison de naissance de Mozart, Musée du Panorama, Tour du Carillon, Église du Dôme, la blanche Kollegienkirche et les façades moyenâgeuses de la Blasiukirche, les Jardins du Palais de Mirabelle, le Marcher et ses bretzels appétissants, les cafés et ses chocolats typiques au massepain, une bière blanche dans un décors d'époque sur la rue piétonne Lizer, les Quais de la Salzach et les innombrables cadenas rivés à ses passerelles... rien ne nous échappe. Un funiculaire nous hisse jusqu'à la forteresse qui domine toute la ville, une vue magnifique. Les escaliers ne font pas peur à mon athlète de grand-père. Des Fondations à la Chambre du Roi en passant par le musée des marionnettes et une expo plutôt osée sur la plastique des danseurs, on s'adonne de concert à la découverte de la citadelle. 



Autriche, Salzburg: Forteresse, bâtiment du Dôme, tour de l'Hôtel de Ville, Kollegienkirche, Franziskankirche, 



Autriche, Salzburg: Vielle Ville autour du Dôme, le long de la Salzach



Autriche, Salzburg: Jardin du Palais Mirabell (actuelle Maison de Commune)


Autriche, Saint Gilgen: hôtel de la poste fleuri et décoré



Autriche, Saint Gilgen:Statue de Mozart sur la Place de l'Hôtel de Ville.



Notre curiosité nous entraîne jusqu'à St-Wolfgang See. Je suis heureuse de montrer à GP le parcours effectue à vélo, à travers la campagne, les églises au toit en tavillon, les fermes des balcons desquels dégringolent des cascades de fleurs, les vaches paisibles sans leur champs au pied du Zwolferhorn (1520m). Un bateau nous permet de rallier la rive opposée. GP se souvient de sa récente croisière en méditerranée dont il ne cesse de vanter les mérites. Il hésite sur sa prochaine destination: Les Caraïbes, c'est peut-être un peu loin dit-il. Je souris, avec son énergie, on ne sait jamais... Je l'encourage aussi, s'il y a un message que GM nous a laissé, c'est bien celui-ci :"PROFITEZ!". Je n'ai pas d'inquiétudes, GP est réaliste, raisonnable, pleinement conscient de ses capacités, il saura bien où poser les limites. 



Autriche, Saint Wolfgang: Eglise vue du lac



Autriche, Saint Wolfgang: Sortie en bateau entoure de montagnes


Le soir GP est fatigue et je dois avouer que moi aussi, c'est beaucoup d'activités et d'émotions toutes ces visites et ces échanges. Mais nous ne renoncerions jamais à notre apéritif quotidien en écoutant de la pop balkanique à la télévision. L'ouverture d'esprit de mon aïeul me déconcerte. Au restaurant qui m'a si bien reçue et où nous retournons manger, il n'hésite pas à commander un  met inconnu!


Autriche, Salzburg: Café Mozart dans le batiment du Musée du Panorama


On enchaîne les cafés au buffet de la gare, le train part dans deux heures. Le temps qui nous reste pour nous dire au revoir, se livrer un peu plus, se démontrer notre affection réciproque, s'assurer des projets de l'autre. Quand le convois se met en marche, ma gorge se serre, des larmes pointent. Quel cadeau ai-je reçu! Quelle chance! je me sens privilégiée et profondément reconnaissante. Merci GP, de tout coeur. ta présence fut un régal, une joie. Prends grand soin de toi, attends moi et bientôt nous réitérons l'expérience, abreuverons ensemble nos soifs de découvertes... et de whisky... aussi!


Lentement, avec précaution, comme une convalescente, je reprends mon vélo, me mets en selle et m'engage dans  le trafic de la ville, le guidon pointant toujours vers l'Ouest.