jeudi 17 décembre 2015

Allemagne (Baviere - Bade Wurtemberg): Oberjoch - Bitz - Stein an Rhein


Encore une frontière franchie sans douanier. Le col de Oberjoch-Pass (1178m) est sous la neige, le soleil éclaire parcimonieusement le paysage blanc, montagneux, splendide. A Oberjoch-Village, des chapeaux de feutre et des pantalons de cuire à bretelles m'accueillent à la station service. C'est le seul endroit du village qui n'est pas travesti par le tourisme, les locaux s'y rencontrent donc autour d'une mousse. Les nez sont marqués de couperose et des chaussettes remontées sur les mollets. En descendant les violets sur la Deutscher Alpestrasse, la réalité me prend à la gorge: L'Allemagne: dernier pays avant la Suisse. L'idée fait son chemin et m'emplit d'émotions mélancoliques. Le salut d'un aîné à vélo en sens inverse fait office d'antidote. Le futur s'aborde le sourire aux lèvres. Il fait froid et la plafond nuageux coupe les montagnes en deux, la vue est bouchée, dommage. La foret est rousse nappée de brouillard et dégoulinante d'humidité. En bas, la neige a fondu, contraste entre le vif festival rougeoyant arboricole et le terne des cimes et du ciel coquille d'oeuf.


Allemagne Bavière: Col de Oberjoch-Pass (1178m)


Je suis surprise par le nombre d'entreprises s'alignant le long de la route: scieries, ameublement, paysagisme, maçonnerie, sanitaire. L'Allemagne renvoie l'image d'un pays dynamique et créatif. Les demeures fermières des villages campagnards m'interrogent, elles sont immenses. Que font donc les habitants de tant de place? Le pic-nic de midi ressemble à un siège. J'ai colonisé un banc en rondins massifs sur les rives de la Iller. Mon sac de couchage sèche à l'air libre, mon réchaud fume, mes cartes s'étalent un peu partout. Si la nuit prochaine est aussi froide et humide qui la précédente, il vaut mieux se préparer à l'avance. Ce capharnaüm attire l'attention et les encouragements pleuvent. Me voilà même entrain de serrer quelques mains par l'intermédiaire d'une jeune expatriée en visite dans son pays natal. Je ne m'attendais pas à une telle cote de popularité sur cette terre voisine de la mienne et aux moeurs prétendument similaires.

A la gare du bourg de Simmerberg, pas d'eau potable. Bienvenue dans les pays modernes qui entendent monnayer l'accès à l'élément, à l'essence de la vie. Un curiste en séjour thérapeutique, m'offre de l'argent afin de m'en procurer. Refus, remerciement respectueux en joignant mes mains devant mon front. Je force la chance dans un café, histoire de vérifier que le bon sens emphatique n'a pas déserté les lieux commerciaux de ce village de carte postale. Il y a des choses qui ne s'achètent pas!

Nuit derrière la rambarde de fer d'une place de parc au bord de la route et réveil en sursaut par le chant d'enfants sur le chemin de l'école. Il pleut, la Deutscher Alpenstrasse ne me dévoilera décidément pas ses charmes. Parcours vallonné et absolument paysans jusqu'à Insy  une halte internet m'informe de la persistance du mauvais temps. Se mettre à l'abri devient urgent, ça fait trop de nuits passées dehors dans le froid et trop de jours dans l'humidité. J'avais compté avec une importante offre de "Zimmer Frei" sur la Oberschwabische Barokstrasse, mais il n'en est rien. De bosses cultivées en creux de rivières forestières, il n'y a que des bourgades aux rues pavées et des fermes isolées. Par sa vitre baissée Richard me tend une banane. Il  m'indique l'auberge de Wolfegg. Ses yeux pétillent, il a lui-même parcouru l'Asie à vélo une dizaine d'années avant moi. Le terrain de foot du bled suivant m'attire, lieux de camping potentiel. Burny m'interpelle alors que je passe devant une Gasthof fermée au public mais qui sert de salle communale. Que fais-je ici? Et bien je cherche un endroit pour dormir! C'est dit. En toute logique, on m'invite donc à coucher dans la chaleur de la salle du restaurant inoccupée. J'y passerai deux nuit, sans qu'une seule goutte de pluie ne daigne tomber du ciel. C'est malin! Burny et Michael sont d'anciens baroudeurs qui ont jeté leur ancre ici depuis dix ans. Ils ont mis sur pied un service traiteur et organisent aussi des événements. Michael est amoureux de ses casseroles, il me montre comment confectionner des pralinés avec tendresse, rouler des crêpes harmonieusement. C'est un régal de l'observer à l'oeuvre. Burny m'embauche dans l'élaboration d'un délicieux Dahl indien. Séquence souvenirs. L'ouverture et le naturel de l'accueil que m'ont réservé ces deux amis est déconcertant. Quand je les interrogent, ils me confient leur passé voyageur. Eux aussi connaissent les besoins de celui qui est sur la route. "Tu seras toujours la bienvenue. Si nous ne sommes pas là, tu n'a qu'à ouvrir la porte. Tu es ici chez toi". Les mots raisonnent dans ma tête et embrassent mon coeur. Merci à vous deux. je vous souhaite beaucoup de succès, puissiez-vous éprouver toujours autant de plaisir à exercer votre passion et avoir toujours autant de bienveillance à offrir.


Micha à l'ouvrage

Encore un jour froid mais quasiment sans pluie. Le ciel reste chargé et les couleurs vives des forets automnales en sont tristement ternies. Elle me fascine toutefois, je réalise que plus de deux ans et demi se sont écoulés sans que je ne rencontre cette saison. C'est beau l'automne, le rouge, le jaune, l'orange et toutes leurs déclinaisons. Seule les sapins restent verts et forment des taches sombres au milieu de ce feu d'artifice. Tout à coup, au bord de la route, Richard. Incroyable mais vrais!!! Il n'invite pour un café-croissant dans la première boulangerie de Bad Waldsee. Nous y resterons plus de deux heures au chaud à échanger sur le thème du voyage, de l'itinérance géographique et intérieure que cette merveilleuse expérience fait vivre. "Tu verras, au bout d'un mois de retour chez toi, tu penseras que tu t'es réadaptée, que tu auras réintégrer les normes de ta culture d'origine, puis d'autres mois passeront et au bout de six mois, tu te diras que là, vraiment tu as réappris ce mode de vie... Les années s'écouleront. Au bout d'un an, tu réaliseras que certaines choses t'avaient échappées jusque là... Et puis cinq ans plus tard, un détail te heurtera... on n'en revient jamais vraiment du voyage!". Merci Richard. Merci pour tes témoignages sincères et tendres, pour ton écoute et tes conseils, pour avoir partagé avec moi tes constatations et tes inspirations. Le monde est beau à travers tes yeux et dans ta bouche. Un déjeuner d'une saveur inhabituelle duquel je ressors émerisée, paisible, heureuse.


La basilique de style rococo de Steinhaussen est incroyablement haute en comparaison du tout petit village. On m'en avait venté les médites, les visiteurs s'y massent. Ayant fait le détour, je suis déçue. A quoi m'attendais-je? Cependant, elle offre un pôle d'attraction à la bourgade ce qui permet d'y faire vivre un peu d'activité. Ce n'est pas le cas pour bien d'autres villages du Schabische Land: aucune échoppe, pas d'école, rarement un café, un bureau de poste; parfois au carrefour, un distributeur de cigarettes en plein air. C'est tristoune. Que font ces paysans une fois la journée de récolte des pommes de terre terminée? Aucun lieu de socialisation ne leur est accessible. Il faut aller faire les courses à la ville, puis rentrer chacun chez soi, devant le petit écran. Jean Ferrat dirait "savoir ce que l'on aime et renter dans son HLM manger du poulet aux hormones" (chanson "Que la montagne est belle" à laquelle je suis très attachée et qui me reviens souvent à l'esprit). Les terrasses de bistros roumains réapparaissent dans mes souvenirs... je suis nostalgique. Et puis, c'était en juillet, il y avait du soleil et il faisait chaud!


Allemagne: Plafond de la Basilique baroque de Steinhaussen

Il fait déjà presque nuit lorsque je m'installe dans un petite parc peu après Redlingen. Je suis émue... très émue. J'enclenche la caméra vidéo, immortalise le moment. C'est la dernière nuit du périple que je passerai en solitaire. Demain j'arriverai chez mon amie Régina  Jean-Da viendra me retrouver pour cheminer avec moi jusqu'en Suisse. La fin d'une expérience merveilleuse, l'une des plus significative de ma vie. Une expérience de découvertes intenses, inattendues, grandioses, révolutionnaires. Une opportunité unique de rencontre avec moi-même, d'apprivoisement, d'apprentissages, de tâtonnements, de cheminement! Un sorte d'histoire d'Amour, l'ultime histoire d'Amour! Maintenant la direction est connue, la voie ouverte, ne reste plus qu'à poursuivre le chemin dans un contexte  les éléments de distraction et de distorsion seront plus nombreux. Ce défit me terrifie, suis-je prête? J'ai l'impression de me poser les mêmes questions que l'an dernier en sens inverse. Cette solitude qui me faisait si peur et devenue mon alliée. Une île paisible, une cime solide. Saurai-je me tenir aussi droite, me sentir aussi connectée et tranquille lorsque les eaux et les vents se déchaîneront aux alentours? Certains parlent de la "fin du voyage". Je n'y comprends rien! Une page se tourne certes, un chapitre se clos peut-être... mais le voyage continue, il continuera bien après mon retour en terre helvétique, bien après la fin de l'itinérance... jusqu'au dernier jour de mon existence sans doute! Chaque instant est une chance, une occasion d'observation, de réflexion ,de connexion, de sensations, d'avancer un pas de plus sur le chemin qu'on a choisi de suivre. Je m'endore dans le brouillard, savourant le froid, l'humidité et l'obscurité, remerciant l'instant présent, les erreurs du passé et les doutes du futur.


Allemagne: Champagne pour mon arivéà Bitz!! Santé!


Allemagne, Albstadt : Régina m'emmène explorer les bois alentours


Un cris de jet qui raisonne dans la foret, un jeune cerf au milieu de la chaussée. Bitz, sous le soleil enfin! Je mets à contribution les habitants du bourg pour trouver finalement la maison de mon amie Régina. Une accolade chaleureuse, une douce chaude et un lave-linge automatique. Un bouchon de mousseux explose et un flot de paroles emplit la cuisine. On se souvient de Chang Mai (Thailande), les jeunes backpackers de la Guest House  nous résidions, ses ambiances familiale, joyeuse. On s'échange les nouvelles, se raconte les aventures réciproques. On rit, on rêve, on plane et on se délecte de jus de fuit frais et de fromages régionaux. 


Allemagne, Bade Wurtemberg : Balade en foret avec mon amie Régina
Allemagne, Bade Wurtemberg: Château de Hohenzollern


Chaque jour passé chez Régina sera une fête ponctuée de visites à ses parents fascinés par le périple, et de balades dans les forets environnantes sur un tapis de feuille orangées, sous l'oeil vigilant des rapaces qui voltigent en nombres entre les arbres. Un point de vue sur le château de Hohenzollern, le sommet d'une tour-antenne, l'enclos des sangliers ou les terriers de blaireaux de son enfance constitueront nos buts de promenades. Régina est ouverte à aborder des thèmes personnels et profonds. Nos soirées seront philosophiques sur fond de musique rock retransmises par un chaîne de radio locale, octobre est le mois du fameux "Hit Parade". Quel plaisir de partager son temps avec cette merveilleuse et charmante femme. Tout est simple et fluide, paisible et agréable. Merci Régina pour ce séjour reposant et berçant. A tes cotés je ne sens protégée, respectée, comprise, c'est un cadeau précieux que je reçois avec déférence. Merci!



Allemagne, Bitz: Salut Régina, merci pour tout!!!


Jean-Da arrive un après-midi comme les autres après huit jours d'itinérance. Il a fait bonne route sous un ciel couvert. Il se dit heureux d'avoir retrouvé son vélo, sa tente, son rythme de voyageur libre. Les retrouvailles se passent naturellement, sans empressement.  Elles sont cordiales et sans accroc. C'est magnifique car comment prévoir les réactions de l'inconscient et des émotions qui pourraient s'accrocher au passé? Un autre bouchon de mousseux pète. On célèbre dignement avant de reprendre la route le lendemain matin.



Allemagne: Jean-Da m'a rejoint!


On roule côte à côte, on parle tout en pédalant. Le soleil brille, il faut presque chaud. Nos multiples pauses café sont autant d'occasion de se raconter. Des trajectoires différentes, des expériences disparates, des projets incertains... une même voie. Une voie alternative à la grande autoroute mondiale, un chemin tortueux que chaque découverte amassée en route a orienté un peu plus vers la nature, le partage, l'ouverture d'esprit, le temps libre, l'espace non-balisé, la créativité, la spiritualité, le décloisonnage, la non-violence, l'audace, la rêverie, l'utopie, l'écoute, le contacte au présent, à sois-même et à autrui, la mise en question des acquis, des habitudes, l'auto-observation. Un sentier à la découverte de soi qui se dirige vers la Paix intérieure, l'Amour. Échanger avec mon ancien compagnon de route et un réel cadeau. Je me sens libre, libre d'être ce que je suis, libre de dire sans être taxée de farfelue, d'irrationnelle, d'irréfléchie... Je me sens comprise, je retrouve un frère, un frère de coeur dont les vibrations s'harmonisent aux miennes.



Allemagne: compement forestier dans les environs de Simaringen

On dépasse de château-église de Simaringen perché sur un roc au milieu de la ville. Jean-Da connaît le tracé pour l'avoir emprunté pas plus tard que la veille. Il me guide le long des pistes cyclable au milieu de la foret couleur feu, à travers les champs verts, violets, brun terre ou jaune colza. La clarté est magnifique, le temps est avec nous, pas de pluie mais les soirées sont fraîches. Peu avant Stockach, je suis émue de rencontrer les premières balises rouges, les indicateurs des piste cyclables suisses. On y est presque. On roule dans une plaine plantées de vergers de pommiers, les vaches broutent dans les prés, l'herbe est fauchée, les paysans collectent un maximum de fourrage en prévision de l'hiver qui approche. J'observe les paysages avidement. Tout autour, des collines de foyards et de sapins, semblables à celles de mon Jura natal. Dans le fond, la cime d'un clocher blanc, encore une montée est nous atteindront le Boden See. C'est une tempête dans mon thorax, je la regarde grandir, la sens bourbillonner. Elle remonte dans ma gorge, fait battre la chamade à mon coeur. J'ai les idées brouillées, je grade le silence. État étrange, il n'est ni triste ni joyeux. Il est à la fois triste et joyeux mais pour moi, il n'a pas de qualificatif positif ou négatif. J'aime mieux le définir comme un tsunami énergétique, une vague aux vibrations intenses qui excite toutes les particules qui me composent. Ce mouvement génère du stress, perturbe l'équilibre, l'harmonie intérieure que je m'applique pourtant à cultiver. Nous sommes tous les deux euphorique en rejoignant Radotfzell. Jean-Da attire mon attention sur toutes les spécificités de ce monde, il est critique et plaisantin. On parle fort et éclatons de rire à longueur de temps. Au campement du soir, c'est l'extrême inverse. Je serre les dents, ne pipe pas mot, regarde le coucher du soleil qui découpe en ombres chinoises des parois de molasse et une église. Seule, je prends soin de moi, vis l'émotion, accepte les sensations qui n'habitent, respire et médite afin de ne pas me laisser envahir par les sentiments trop intenses qui finiraient par générer peur panique et déprime. Je les observe, essaie d'en tirer le meilleur. Fais de mon mieux pour apprécier à sa juste valeur cette étape du Voyage sans laisse le disconfort actuel de la situation se cacher derrière des craintes à propos du terrible inconnu que sera le futur. Un exercice de haute voltige, une chance de grandir un peu plus.



Allemagne, Radotfzell : un dimanche après-midi au Boden See


On longue le Lac de Constance sur un chemin de gravier, le centre des villages composés de veilles maisons en pierres ont des rues pavées. "De l'autre coté, c'est la Suisse", je souris et réponds "ouais" tout en rêvant de faire taire mon partenaire de route. Innocemment, il me propose une pause thé, prétextant une soif soudaine. "Maintenant, ici?". Il appuie sont vélo un hasard d'une clôture de fil barbelés, met pied à terre et se retourne, me regarde intensément. Je lève les yeux et je comprends. Une borne porte une croix blanche sur fond rouge, j'avance très lentement et la dépasse. "Bienvenue chez toi Léouze!", Jean-Da me donne l'accolade et me tend une tasse de thé chaud, nerveusement, je me roule une cigarette. Wouahh, j'ouvre grand les yeux et cherche les différence d'avec le pays d'avant. Un jeu des 7 erreurs grandeur nature, mais mis à part le drapeau suisse qui flotte fièrement sur la ferme voisine, je n'en trouve aucune. La stabilité des éléments extérieurs me rassure, contrebalance un peu la tornade des éléments intérieurs. Je remercie Jean-Da d'être là, à mes cotés en cet instant.



Passage de frontière: L'arrivée en Suisse c'est maintenant!!!




jeudi 3 décembre 2015

Allemagne (Baviere) - Autriche (Tyrol - Salzburg - Vorarlberg): Bad Reichenhall - Innsbruck - Bludenz - Oberjochpass

Messge publié par Léo



Sur la route secondaire aucun contrôle douanier n'a été rétabli. J'en suis surprise, je m'attendais à plusieurs heures d'attente, comme les journaux le mentionnent. Me voilà donc en Bavière, ça ne fait aucune différence. A Bad Reichenhall, Sophie m'attend avec un sourire splendide, un café fumant et beaucoup de bienveillance. Elle et sa colocatrice, Miriame ont été partenaires d'aventure six mois durant à travers l'Amérique Latine. Leur retour au pays date de février 2015, c'est une joie de découvrir grâce à elles cette étape du périple qui m'attend aussi très prochainement. J'avais prévu cet arrêt par l'intermédiaire de warmshowers (voir l'article à propos de cette organisation: http://www.jeandaetleo.blogspot.ch/search/label/Associations%20et%20H%C3%A9bergements) sachant qu'après la visite de GP, un temps de calme et de récupération émotionnel me serait indispensable. Je ne suis pas déçue! Mon séjour sera rassurant et apaisant.


Allemagne, Bad Reichenhall: chez Sophie et Miriame,

 La compagnie des deux jeunes filles est délicieuse, intense tout en étant reposante. Les échanges sont profonds, l'organisation détendue, l'écoute attentive, le partage authentique. Pour beaucoup d'entre nous, voyageurs au long-cours, le retour dans son milieu d'origine n'est pas une évidence. C'est une étape qui est partie intégrante du voyage, à ne pas négliger. C'est assez soudainement que la réalité de ma propre arrivée prochaine en Suisse me heurte. Elle devient tout à coup tangible lors d'un Skype avec ma famille qui me dis "à dans un mois". Le corps parle, tremblement, noeud à l'estomac, picotements à la racine des cheveux. Merde alors, j'arrive! Jusqu'à présent, les réjouissances, craintes, doutes, interrogations profondes et questionnements concrets quant à ce moment particulier de l'aventure avaient toujours été rapidement noyés dans la folie balkanique, trop souvent accompagnés d'un verre ou deux. J'en prends pleinement conscience en un instant! Il va falloir redresser la barre, donner la chance à ce moment d'exister, accepter les peurs liées à l'inconnu de l'après, les réticences aux changements entre le nomadisme et la sédentarité, les craintes des effets d'un quotidien plus routinier sur les perceptions du Monde, de soi, de la Vie... Ce coup de massue me donne aussi l'opportunité de réaliser ma chance d'être entourée d'une famille et de proches aimants, soutenants et dévoués. Je me dois d'apprécier ce cadeau à sa juste valeur, d'en profiter pleinement, intensément, de la manière la plus authentique possible. Quel électrochoc, un électrochoc salvateur! Il me reste à présent à plonger dans cette nouvelle aventure, la vivre consciemment et en tirer le meilleur. Les deux jeunes femmes me présenteront aussi Teresa avec qui l'entente est instantanée, le contacte magique. Celle-ci propose de m'accueillir à Innsbruck  elle étudie. Sophie, Miriame, merci! Je vous souhaite beaucoup de courage, de force et plein succès dans la poursuite des chemins que vous êtres entrain de vous tracer. 



Allemagne, Reit im Winkl: village touristique bavarois


Je suis la Deutscher Alpestrasse, la route est basse entre les monts élevés. Le décors et les villages sont similaires à ceux de l'Autriche qui se trouve d'ailleurs à quelques kilomètres de là. De loin en loin, de petits lacs enserrés dans ce paysage alpin: ils sont azure et verts, blancs et beige, grandiose! La zone est très touristique: hôtels, campings, remontées mécaniques, centre équestres, tennis, piscine, gasthof, golf 24 trous... Chic! Le vent est passablement frais, les promeneurs me saluent alors que je pic-nique sur un banc de Reit im Winkl avant les montées qui me ramènent dans le Tirol autrichien. Je peux apercevoir le tracé de la route de loin car un seul itinéraire est possible dans cette étroite vallée où viennent s'échouer, en quinconce, les bases de hauts monts. Tous les bleds portent un nom suivi de "im Tirol", ici l'on sait qui l'on est et d'où l'on vient! Les fermes massives sont surmontées d'une girouette décorée d'un coq, d'un cheval en fer forgé sous de petits toits côniques en tavillons qui abritent une cloche. Au sommet du faîte du toit, une croix chrétienne, architecture typique. Dans les pâtures, des chevaux Haplinger à crin blond et robe rouille, des vaches blanches tachées de beige, écornées, des moutons tondus et des lamas alpagas.


Autriche, Tirol: Kitzbuhel 

Aux alentours de Kitzbuhel, certains champs sont des cimetières à courges. Leur cadavre gonflés, rouge, orange, en putréfaction attendent le labour prochain pour se mélanger à la terre, redevenir poussière.  Ces parias gâtés, difformes, n'ont pas été jugés bon à la consommation. Dans un monde d'apparence, où l'on préfère l'esthétisme au naturel, les besoins de secondaires prennent le pas sur les besoins vitaux; de toute façon les ventres plats c'est à la mode. Les cannes de maïs sont fauchées à la moissonneuse, déchiquetées, puis des automates bruyants et terrifiants les compressent en botte qu'ils enroulent copieusement de plastique. Les animaux cet hiver auront droit, eux aussi, à leur nourriture sous vide! Où sont passés les charrettes roumaines et les "taf-taf" des tracteurs serbes? Ici, les machines agricoles sont des engins de course. Leurs roues hautes de 1,80m me dépassent à tout allure. Ça perd en charme et n'atténue peut-être pas beaucoup le labeur du paysan, maintenant seul à porter la responsabilité de la gestion de son exploitation. On m'informe que les cotas sur le lait ont été abolis. La surproduction fait chuter les prix sous la pression aussi des grand distributeurs. Comme en Suisse, il est ici impossible aux agriculteurs de vivre de leur métier (alors que rappelons-le, ce sont eux qui nourrissent les populations et que, pendant ce temps là, certaines entreprises du secteurs des services bouclent leur exercice comptable avec des bénéfices dont peu d'entre nous sont capables de comprendre la valeur: que signifie le terme "milliard"?). Tous comptent avec les subventions étatiques. Les consommateurs gagnent moins et veulent consommer plus. Bref, histoire connue, le revers du capitalisme. 


Autriche, Salzburg: Masif du Grossglockner (3798m) depuis la descente du col de Pass Thurn (1274m)

Montée du col de Thum (1274m). La haut c'est glacial et la vue merveilleuse, panoramique sur les glaciers du Grossglockner (3798m), du Muntanitz (3232m) et du Grossvenediger (3674m). Je me régale du spectacle emmitouflée comme un "Eskimo". Une vallée à fond plat, alpine me guide vers le col de Gerloss (1628m). Au hasard de la piste cyclable qui longe la Salzach retrouvée, Renart, explorateur du Sud-est asiatique depuis plus de 10 ans: je l'invite pour un café. C'est le jour d'ouverture de Tee-Room à Neukirchen am Grossvenediger, on nous offre canapés, mousseux et pâtisseries. La bonne affaire! Puis Renart me guide chez Christina et Wolfgang, deux baroudeurs qui ont pour habitude d'ouvrir leur maison aux voyageurs de passage. Quelle chance! Apéro sur le balcon de leur maison typique, en bois gravé, décoré de géraniums. Puis repas chaleureux et arrosé de Shyraz en compagnie de quatre professeurs de l'école du village. "L'hospitalité est un cercle vertueux. On se regarde dans les yeux, se serre la main, échange des politesses, des questions attendues, des point de vue. On franchir le pas de la porte, on se met à l'aise, on se livre, on se révèle, on donne du temps, le meilleur de soi-même. On nous rend la pareille, échange de bons procédés. On salue l'initiative, moi aussi, j'aurais toujours voulu, on se livre, on se révèle, on prends du bon temps,  le meilleur qui soit. Ainsi, de toit en toit, d'être humain en être humain. Et qu'importe s'il n'en reste rien au bout du compte. De toute manière, il n en restera rien. Poussière. [...on] joui[t] dans le présent. [On] n'y fait que passer" (Blaise Hoffman, L'Assoiffée). On finit tard et le pédalage du lendemain se trouvera ralentis par tant de générosité. Je ne m'attendais pas à vivre un tel accueil en Autriche! expérience magique!




Autriche, Salzburg: Christine et Wolfgang m'invitent chez eux le plus naturellement du monde.


Peu apres le col que j'atteins tout de même, je découvre le lac de Duriassboper surmonté des glaciers du Reichenspitze (3303m). Le soleil perse les nuages compactes et tache le bleu, le vert, le gris, puis le blanc par endroit. Une toile de maître de plusieurs kilomètres d'envergure. Longue descente jusqu'à Zeil am Ziller entre foret orangée, lumineuse, pâturages verts éclatants et bourgades conservant jalousement leur aspect traditionnel pour attirer les amateurs de randonnées et de sport d'hiver. Ici aussi, tout est orienté vers le tourisme. La vallée de Zillertal est large et agricole, je me retourne sur les glaces des Mlertaler Alpen qui forment une frontière naturelle avec l'Italie. Les eaux de l'Inn, chargées d'alluvions sont bleues-grises, le débit rapide, la rivière large. Sur les pistes cyclables à l'approche d'Innsbruck, on m'encourage, me congratule. La ville olympique a gardé ses traditions sportives. Les quais ne sont que parcs et jardins où l'on se promène, cours, joue. Partout des terrain de sport dans lesquels l'importante populations estudiantine s'adonne à toute sortes d'activités. Innsbruck , une ville qui bouge et où "activité outdoor" est le mot d'ordre!


Autriche, Salzburg: Montee du col de Gerlospass (1628m)



Autriche, Salzburg: Reichenspitze  (3303m), depuis la descente du col de Gerlospass (1628m)





Autriche, Salzburg: Vallee du Gerlostal


Theresa est absente quand j'arrive chez elle, un jeu de piste me conduit à dénicher une clé cachée, en suivant des petites notes qui me sont adressées. Dans la soirée, elle rentre d'une expédition grimpe avec des amis. C'est comme retrouver une veille connaissance, à nouveau la magie opère. L'une près de l'autre on se sent apaisées, émerisées et harmonieuses. L'ambiance est à la décontraction permanente, le stress, l'anxiété sont bannis de cette maison. Les amis passent et repassent à l'improviste et organisent des soupers et autre activités toutes plus fun les une que les autres. Quand on m'interroge sur les raisons de mon escapade, j'expose mon intérêt pour la découverte culturelle, mon attraction pour la rencontre de chacun dans son individualité, l'exploration des différences et des similitudes... Ni une ni deux, les jeunes dénichent un 33 tours, l'installent sur un tourne-disques ringard, déposent délicatement l'aiguille sur le vinyle. "Ça c'est de la particularité culturel, de la tradition" scandent-ils en s'esclaffant et en buvant leur tasse de thé de la façon la plus maniérée possible. Nous écoutons une sorte de "Schlagermusick" accompagnée de chants tyroliens en riant de bon coeur. Teresa se met à peindre les murs de sa chambre et un étrange chaleur m'envahis. Que je suis bien ici, dans ce cocon d'énergie vitale, fluide, simple. Merci mon amie pour le séjour que tu m'a offert, merci de ta confiance, de l'amour que tu as partage avec moi. Continue de voler de la sorte car ton chemin a, je crois, quitté terre. Si jeune, et dé un ange dans le ciel.


Autriche, Tirol: ambiance joyeuse chez Teresa

Autriche, Tirol: entre Innsruck et Saint-Anton


Pourquoi pas un détour? J'oblique au Nord, quitte l'Inn et escalade le col de Holzleitner Sattel (1128m). Le village de Obsteig semble suspendu dans le temps, une église entourée d'un cimetière dans lequel une fontaine coule, un restaurant, une veille auberge décorée de motifs floraux. J'ai le temps d'atteindre le sommet avant que la pluie ne se mette à tomber, une pluie fine s'extirpant des bancs de nuages bas et noirs qui cachent un panorama superbe de versants de forets rouillées et de sapins verts, la neige est plus au Sud, accrochée aux cimes des hauts monts. Providence, une cabane en rondins dans un pâturage sous d'immenses pins d'où pleut sans cesse des aiguilles orangées formant un moelleux tapis. J'y panserai deux jours en compagnie d'un couple de jument Haflinger que j'apprivoise à coup de caresses et de trognons de pommes. Un beau moment en solitaire la haut sur la montagne. 

Autriche, Tirol:Campement pluvieux au col de Holzleitner Sattel (1126m)


Une très jolie descente pour rallier un plaine encastrée entre deux parois de roches qui semblent sans issue et dans lesquels sont accrochés quelques forts médiévaux. Les villages sont étrangement calmes, presque déserts, seuls quelques enfants sur le chemin de l'école. Peut-être est-ce parce qu'il fait froid et que le ciel est encore couvert. Ce n'est qu'à Landeck que je trouve un supermarché. Un requérant d'asile participant à un programme d'occupation vend des journaux à la sortie, je lui offre quelques fruits et pic-nique installée sur un caillou au bord de la Bigerbach. La montée vers Pian est raide, j'arrive à présent vers un lieu qui m'attire depuis des mois, depuis que j'ai entre les mains la carte routière autrichienne. Souvent déjà, il en fut ainsi: les cartes me parlent. Je m'assois des heures durant les yeux fixés sur le papier plié en accordéon, imagine des tracés divers, réfléchis à des itinéraires. D'abord j'ai envie d'aller partout et puis, peu à peu le regarde se fige, une étrange sensation signale que là, c'est l'endroit où aller. Alors la tête démarre avant les jambes, l'idée se cristallise, inexplicablement je sais que c'est là que je dois être. Il en fut ainsi du col de Hohesrad (2036m). Deux jours seront nécessaires à son ascension. D'abord, ça monte doucement le long de la Trisanna, ce qui me permets d'atteindre 1350 mètres d'altitude dans la journée. Je crains de m'élever d'avantage car les nuits deviennent glaciale. Les bourg sont à l'abandon, des stations de sport d'hiver bloquées dans une entre-saison mortelle et défigurées par les constructions hôtelières. Des points sur la carte qui n'existent que pour les touristes. Un "disney land" de chalets typiques, figés dans le temps, illusoires, d'une fausseté déprimante. Toutes les maisons postent un signe "zimmer frei". A cet instant elles sont aussi accueillantes que des glacières oubliées, quel gâchis. J'installe le camps sous l'oeil des chevaux désoeuvrés attendant eux aussi l'arrivée des visiteurs. Cet hivers, ils tirerons des traîneaux de vacanciers qui s'emmitoufleront dans les couvertures à carreaux et jouant les romantiques. Un hélicoptère se pose à quelques centaines de mètres, des joggeuses courent, un vieux cycliste passe pour me montrer une coupure de presse relatant son périple en vélo électrique au Vatican, le fermier et son chien m'interpellent pour me prévenir de me pas m'approcher de la maison pendant la nuit. "Ne vous inquiétez pas, la nuit, je dors". Je souris intérieurement en repensant aux paysans d'ailleurs qui offrent spontanément le gîte et le couvert. Peu importe car je suis bien seule face à la nature, regardant le jour baisser en savourant une soupe de riz. 


Autriche, Voralrberg: La foret automnale sur la monte du col de Hohesrad (2036m)


Des bancs de nuages bas cachent toujours le panorama. Le brouillard forme des strates le long des flancs de montagnes, seule la partie inférieur de la vallée est dégagée. La nature lutte contre la grisaille avec sa robe étincelante, c'est un festival de couleur chaudes qui encourage l'ascension devenue plus ardue. A ma droite des cascades. A force de prendre de l'altitude, la végétation se fait plus vivace, les arbres ont disparu, ne restent que de petits buissons brunis et au sol, l'herbe pelée poussant courageusement dans une terres rocailleuse. Quelques souvenirs Himalayens me reviennent en mémoire. Un lacet, puis deux, j'atteins bientôt la limite du brouillard, c'est ici que je pic-niquerai afin de me préserver du froid. Au milieu d'une morce de sandwich, je lève les yeux. Un trou bleu dans les nuages a visé le sommets glacé d'une montagne environnante. Wouahh! Je me retourne, un autre trous, puis encore un autre. Mon coeur s'emballe, je me commence à chanter, à invoquer le soleil pour qu'il se mette à briller, à m'exclamer sur chaque nouvelles apparition, à répéter un millier de foi "monstre beau!". Le repas prend fin alors que le ciel s'est totalement ouvert, dévoilant la crique glacière au delà du barrage sommital. Le Piz Buin (3312m), le Gr. Litzner (3109m), le Tirolerkopf (3095m), le Fluchthorn (3399m) enserrent le col de Hohesrad (2036m). Par delà ces montagnes, la Suisse, Davos. Il n'y  a plus qu'un bloc de pierre qui nous séparent. Elle devient soudain réel, tangible, accessible, trop proche pour moi, il n'est pas encore temps.  Je suis émue, c'est juste une visite de courtoisie madame, un toisement à distance, un observation recueillie qui dure des heures depuis la terrasse d'un bistro en mangeant une coupe de glace. Être là est un cadeau merveilleux, atteindre ce lieu avec l'éclaircie tient du mystique. Je me sens guidée, protégée, et bénie par une Bonne Étoile qui a été tant de fois présente au cours du voyage qu'elle est devenue un personnage à par entière de l'aventure. 

Autriche, Vorarlberg: Fluchthorn (3399m), depuis le col de Hohesrad (2036m)

Autriche, Vorarlberg: Piz Buin (3244m), depuis le col de Hohesrad (2036m)


L'après-midi décline. Pour redescendre de ce perchoir, il s'agit de zigzaguer à toute vitesse dans 30 virages en épingles d'une raideur vertigineuse. Un must pur les motards. C'est grisant et froid. Un cycliste croisé là m'indique un magasin de vélo compétant et sympathique à Schruns. J'y arriverais le jour suivant. Sur la vitrine est affichée l'annonce d'une présentation donnée au village par deux aventuriers cyclonautes, Dorothee et Kurt, un coupe germano-helvétique qui s'est installé ici après 160'000 kilomètres sur 10 ans autour du Monde. Tout en bichonnant Diogène près d'un banc au milieu du bourg, j'interroge les passants. Savent-ils où logent les deux aventuriers? Beaucoup de dames s'arrêtent, elles m'offrent un café, s'enquièrent de moi, tout en essayant de me renseigner au mieux. Bientôt tout le village est au courant et on fini par me montrer de visu la maison où je souhaite me rendre. Mais Helga ne me laissera pas filer avant de m'avoir offert les quarte-heures dans son bel appartement. Ancienne professeure, elle parle couramment le français et l'anglais. Avec ces deux petites filles et son maris, elle a vécu longtemps en Afrique. Aujourd'hui, elle offre des cours de soutien aux migrants qui souhaitent apprendre la langue autrichienne, elle traduits aussi des ouvrages littéraires. Elle est intarissable en questions et en histoires, on ne voit pas le temps passer. "Je dois aller au théâtre ce soir, mais tiens, je te laisse les clés. Va voir tes amis cyclistes et rentre dormir ici quand tu le souhaites". Oui, aujourd'hui, dans ce Monde, sur cette terre, en Europe de l'Ouest, il existe des gens qui refuse le dictât de la méfiance et de la peur. Des gens qui connectés à eux-mêmes et au Monde savent percevoir ce qui est juste et saint, des gens profondément humain. Rencontrer Helga rassure, donne confiance, repousse les doutes,  donne le sourire, diffuse la joie, rend fier d'être humain. Merci Helga pour ton accueil, ta gentillesse, ta franchise.

Autriche, Vorarlberg: Les 31 contours de la descente du col de Hohesrad (2036m)



Autriche, Vorarlberg: Helga m'invite à passer la nuit chez elle à Schruns 

Dorothee et Kurt m'invitent spontanément à partager leur repas, me montre fièrement leurs bicyclettes. Exposent avec passion leur parcours qu'ils sont parvenus miraculeusement, à force de concessions, de renoncement, d'acceptations et d'abandons, à faire tenir dans un livre épais de 4 centimètres. C'est un choc et un émerveillement. 160'000 kilomètres en quelques centimètres, l'exploration de 5 continents sur une dizaine de photographies, 10 ans de Vie qui se résume sur quelques centaines de pages. J'observe le livre en allemand avec un mélange de respect et de désolation, admiration profonde et consternation. Cet objet, je le considère comme une relique précieuse, un livre saint, le Bhagavad-Gîtâ... Et c'est tout? Un si petit espace qui renferme une si grande aventure, et c'est tout? Comment peut-on confiner le Monde à ce point? Il a fallu en raboter des coins, pour y parvenir. Mon admiration est sans borne. En même temps, je ressens à la fois tristesse et envie pour ces deux baroudeurs du temps où les portables et internet n'existaient pas, du temps des traveler-checks et des services postaux, car je sais à quel point les mots sont réducteurs... et ils y sont parvenus! Leur espace d'expression a été si limité, suis-je capable de subir un tel choc? Une soirée belle, instructive, familiale, simple, une leçon de vie.



Autriche, Vorarlberg, Schruns: rencontre avec Dorothee et Kurt, 10 ans de voyage à vélo, 160'000km et 5 continents 



Marre de la montée aujourd'hui, pourtant il le faut. La plaine qui s'en va vers le Bodensee, la Suisse, n'est pas mon itinéraire. Elle est large et agricole, construite et courue, difficile d'y trouver un lieu de couchage. J'escalade donc ses pentes Nord au dessus de Thuringen où se déroule une fête villageoise pleine de produits régionaux. Le camps est planté en début d'après-midi déjà, au bord d'un étang poissonneux dans lequel les pécheurs lancent leurs hameçons. J'y reçois bon accueil. Après les émotions de la vielle, j'ai besoin de repos. Malgré le froid, le soleil brille.

Le lendemain, à mon grand désespoir, la route redescend en direction du fond une étroite vallée. Autour de moi, la foret est en feu, les vaches sont maintenant d'un brun crémeux, une race plus adaptée à l'altitude, elles portent cornes et cloches. Les maisons villageoises sont ornées de cranes de chevreuils et de bouquetins cornus, où qu'on soit sur terre, toujours les mêmes symboles! J'adore observer ces marques de similitude entre les diverse peuples du Monde. Nos ressemblances nous rapprochent-elles?

Me voilà au pied d'un mur de plus de 800m de haut. Il va falloir l'escalader pour atteindre le col de Faschinajoch (1486m). La route marque des virolets pentus, les derniers kilomètres seront pénibles, d'une raideur folle. Au sommet, on épand le purin sous les remontées mécaniques des pistes de ski. C'est par un tunnel ouvert sur le coté que je dégringole la pente vers la vallée de la Brengenz toute verte, alors que plus haut tout est d'un rouge flamboyant.  Pic-nic sur un banc de Au, sous une croix ornée de têtes de mort et portant un Jésus pendu. Un symbole macabre radoucis par un soleil radieux, les températures sont si douces que je m'offre une sieste. Délicieux moment d'abandon, de rêverie et de repos. 


Autriche, Vorarlberg: montée du col de Hochtannbergpass (1679m)

Il se fait tard, atteindre les 1676m du Hochtannberg n'est pas raisonnable. Aujourd'hui, j'aurais gravi plus de 1200m de dénivelé, c'est suffisant... Les pentes sont raides et le paysage de plus en plus typique et naturel. Je me sens privilégiée dans ce décors alpin, plein de sommets gris roches, de forets de sapin verts, de pâturages à vaches curieuses et de silence. Schrocken est le dernier village avant le sommet, un couple âgé remplit mes réservoirs d'eau, m'alerte du mauvais temps qui arrive et m'indique un parking un peu plus haut qui pourrait accueillir ma tente pour une nuit. Dès que le soleil se cache derrière les montagnes, le froid est mordant. Le tenancier du petit chalet-café sur le parking m'offre un bonnet d'aviateur fourré. Il montre un engouement sans borne pour le périple. Son fils est actuellement en voyage lui aussi, conducteur automobile, c'est un férus de route de montagnes. Dans ce pays, il doit être servis. La nuit tombe alors que seule, surplombant la foret, j'avale silencieusement une soupe chaude. Un couple de chevreuils sort du bois, et des étoiles s'illuminent... Je suis bien, tranquille, entière. Merci Mère Nature de m'offrir inlassablement le cadeau de ton merveilleux spectacle. 

Il pleut, et sur les sommets des glaciers qui se nichent entre des barres rocheuses, il neige. Je pédale en botte plastifiées, emmitouflée dans mes vêtements. Encore quelques lacets et c'est le col, je ne m'y attarde pas, il gèle. La descente n'aide pas à faire monter la température, elle est interminable et me lasse étrangement alors qu'elle aurait pu être une belle récompense à l'effort fournis. Le mauvais temps m'inquiète. Que faire, trouver un logement, rester sous tente un jour entier, pédaler vite pour atteindre une région plus épargnée J'avance à toute vitesse dans la vallée de Lech. Je me sens fatiguée et lasse de la grisaille, décide de couper vers la frontière à la hauteur de Weissenbach am Lech et quitter bientôt l'Autriche par le col de Oberjoch. Avant cela, il faut d'abord escalader quelques virages en épingle accrochés au flanc de la montagne et atteindre le col de Gaicht (1083m). L'ascension s'effectue rapidement et avec plaisir. Je suis maintenant dans un environnement de paysannerie alpine, la région regorge de spécialités campagnardes: fromages, saucisses, artisanat... Il ne pleut pas, mais de grosses barres de nuages vaporeux, foncés, type brouillard, ne laissent rien présager de bon. Elles avancent dans mon dos et ne vont pas tarder à me rattraper, il faut que je plante le camps. Je fais le plein d'eau à la fontaine de la chapelle du village de Haller et cherche un coin propice à proximité du lac de Halder. Malheureusement, les environs sont trop touristiques: auberges, chambres d'hôtes, campings, hôtels proposent des logements. Je poursuis ma route malgré la pluie qui commence à tomber. A la sortie du village, un terrain de foot en friche. Un de ses coins près de la foret fera très bien l'affaire, de toute façon, l'averse s'accentue, je n'ai pas le temps de tergiverser. 

Mes affaires sont mouillées, demain, on attend encore de la pluie. Il faut à tout prix que je sèche mes vêtements si je ne veux pas geler sur place le jour suivant. J'organise donc un système. D'abord me changer pour me pas me transformer en glaçon et m'enfiler prestement dans mon sac de couchage heureusement très bien adapté aux températures négatives. Puis, me frotter les pieds et les mains pour les rechauffer. Ensuite, j'enfile tour à tour les vêtements trempés afin de leur fournir la chaleur nécessaire à les sécher. L'air est humide et glacé, il faut donc les étendre à l'intérieur du sac de couchage et plus près possible du corps. Dehors il se met à neiger, c'est la première foi que je vis pareille situation en solitaire. Serais-je à la hauteur?

Au matin, tout est blanc, les nuages hauts laissent voir les montagnes environnantes. C'est très beau, comme un cadeau qui contrebalances l'inconfort de la nuit. De plus, je me sens fière. Camper sous la neige m'a toujours causer de l'inquiétude, cette nuit, j'ai réalisé cet exercice seule, calmement et sans trop de difficulté. Il fait si froid que je prends mon petit déjeuner en marchant autour de la tente. Les pistes cyclables n'emmènent vers la frontière allemande. Elles sont déjà dégagées car le soleil a maintenant percé, ce qui donne au paysage des airs de carte postales. Les arbres gouttent abondamment et certaines parcelles de pâture très exposées redeviennent vertes. Je m'élève dans la montée du Oberjoch (1180m), le désormais traditionnel panneau étoilé signale un nouvelle fois "Bundes-Republik-Deutschland".


Autriche, Tirol: Nuit sous la neige à l'approche du col de Oberjochpass (1180m)